On entend couramment – et à juste titre – que la pratique théâtrale permet de mieux se connaître. Quiconque a pratiqué l’improvisation s’est un jour trouvé incapable d’exprimer une émotion qu’il a coutume, pas toujours consciemment, de réprimer dans la vie. Un autre, travaillant sur un personnage, a parfois éprouvé des difficultés, bloquant sur certaines facettes de la personnalité à incarner. Chaque manifestation de ce type donne l’occasion de constater ses freins, de s’interroger dessus.
Ce qui est frappant lorsque l’on joue avec des inconnus, rencontrés au gré d’un nouveau cours ou d’un stage, c’est la manière dont la connexion à l’autre se fait rapidement.
Une connexion directe, sans passer par le jeu social
Une rencontre dans la vie professionnelle, à un dîner amical ou mondain, donne lieu en général à un jeu de communication selon les conventions sociales de l’environnement où les premiers échanges ont lieu. Discussions générales, présentations de soi orientées selon l’image que l’ont veut donner, il y a peu de chance que de véritables échanges aient lieu dès ces premières rencontres. Si la relation se poursuit, qu’elle soit amicale ou professionnelle, il faut souvent du temps et du partage pour que les personnes commencent à percevoir en profondeur la personnalité de l’autre.
Lors d’exercices théâtraux, le jeu social n’a pas cours. L’on pourrait croire que le fait de jouer masque ce que l’on est, mais bien au contraire, chaque parti pris sur un personnage, chaque réaction dans une improvisation est un morceau de soi que l’on dévoile à son partenaire de jeu. Nul n’est besoin de se méfier de cet état de fait, car tout le monde vit la même situation, et se prête à l’exercice, de gré ou inconsciemment.
Le comédien exprime des émotions qui, en étant transposées dans une situation fictive, lui appartiennent cependant. Celui qui lui fait face les écoute, et voit l’autre de manière beaucoup plus directe qu’il ne le ferait dans un contexte social plus traditionnel.
De surcroît, le fait de vivre ces moments ensemble conditionne le comportement que nous aurons en dehors du jeu théâtral. L’ouverture se fera d’autant plus naturellement que le jeu social en sera fortement diminué, pour rester à un niveau de sincérité ouvert grâce à ces expériences vécues ensemble.
De la découverte de l’autre dans le jeu professionnel
Il est rarement question dans la vie professionnelle de s’ouvrir à l’autre, il est souvent mal vu d’exprimer ses émotions, surtout si elles sont considérées comme négatives.
Le fait d’avoir expérimenté ce que j’appellerai cette « rencontre » avec l’autre dans un environnement qui s’y prêtait (j’hésite désormais à utiliser le mot bienveillant, qui a tendance à être galvaudé dans des milieux qui ne le sont justement pas), prouve qu’il est possible d’établir un niveau de communication plus sincère en raccourcissant la phase de jeu social. L’intérêt de ce raccourcissement, notamment si l’on doit travailler avec la personne en question, est de comprendre au mieux son fonctionnement et lui donner les clefs pour comprendre le votre. L’idée n’est pas bien sûr d’éliminer tout dialogue « rituel », car être en niveau de sincérité maximum dans tous ses échanges serait probablement épuisant pour tout le monde, mais de laisser l’autre entrevoir qui vous êtes pour que lui-même vous ouvre cette possibilité.
Les entreprises dépensent des fortunes en analyse de profils afin de faire comprendre à leur salariés non seulement qui ils sont, mais surtout que ceux avec lesquels ils travaillent fonctionnent peut-être autrement, et que les différends professionnels peuvent simplement provenir de différences intrinsèques qu’il convient de reconnaître.
Faire l’expérience de la connaissance de l’autre grâce au jeu théâtral permet d’utiliser ensuite cette capacité en établissant rapidement une relation plus efficace, en allant chercher chez l’autre qui il est et en montrant un peu de son vrai Moi. Sans pour autant se mettre à nue, diminuer le temps de jeu social pour accéder plus rapidement à une certaine sincérité est, à notre sens, un gage d’efficacité dans un fonctionnement professionnel partagé.